mise à jour vendredi 21 novembre 2008 15:13
« L'ESPRIT EN TANT QUE TEL EST LE BOUDDHA»
Lorsqu'ils
entendent parler de « l'esprit en tant que tel », les
imbéciles s'imaginent que leurs facultés intellectuelles et perceptives,
avant qu'ils n'aient produit la pensée de l'éveil, ne
sont autres que le Bouddha. C'est qu'ils n'ont jamais rencontré
de vrai maître.
L'hérésie en question est celle qui est apparue en Inde sous le nom de Senika. Selon ce point de vue, la grande Voie se trouve dans notre corps actuel, et son aspect est facile à connaître. C'est elle qui permet de discerner la douleur et le plaisir, de connaître par soi-même le froid et le chaud, et d'éprouver la peine et la démangeaison. Elle n'est pas gênée par les dix mille êtres, et n'a rien à voir avec les objets. Les êtres et les objets apparaissent et disparaissent, mais la connaissance spirituelle est constante et immuable. Cette connaissance spirituelle est universelle, elle est identique chez les saints et les profanes, et chez tous les êtres. Bien qu'en elle existent temporairement ces fleurs de l'espace que sont les dharmas erronés, lorsque, en un instant, la sapience adéquate apparaît, les êtres et les objets disparaissent, et seule la nature foncière ou connaissance spirituelle subsiste, parfaitement claire, calme et constante. Même si le corps est en apparence détruit, la nature spirituelle en sort intacte, tout comme, lorsqu'une maison est en feu, le propriétaire s'en échappe. Elle est lumineuse et subtile, et c'est elle que l'on nomme la nature des éveillés ou des sages. On l'appelle aussi Bouddha ou éveil. Elle inclut soi-même et les autres, et pénètre également l'illusion et l'éveil.
Quels
que soient les dharmas et les objets, la
nature spirituelle est distincte des objets, différente des êtres,
elle dure éternellement. En tant qu'ils sont fondés sur cette
nature spirituelle, même les objets qui existent actuellement
peuvent être tenus pour vrais. Puisque leur production est
conditionnée par la nature foncière, ce sont des dharmas véritables.
Et pourtant, ils ne sont pas constants comme la nature
spirituelle, car ils [ne] durent [qu'un temps] avant de disparaître.
Comme elle transcende le clair et l'obscur, et qu'elle
connaît de manière subtile (ling), on la nomme connaissance
spirituelle (lingzhi). On la nomme également le vrai moi, le
fondement de l'éveil, la nature foncière ou l'essence
primordiale. Réaliser cette nature foncière est ce qu'on nomme « faire retour
au permanent », et celui qui y parvient
est « le Mahasattva qui a fait retour au vrai ». Par la suite,
il ne transmigre plus dans le sanisâra, il accède à la réalisation
de l'océan de la nature, sans naissance ni extinction.
Il n'est pas d'autre réalité vraie. Tant que cette nature ne se
manifeste pas, les trois mondes et les six voies surgissent à l'envie.
Telle est la vue de l'hérésie Senika.
Le
maître dynastique Dazheng du grand pays des Tang, [de son
nom personnel] Huizhong, demanda à un moine : «
D'où viens-tu ? » Le moine : « Du sud. » Huizhong : «
Quels amis de bien y a-t-il dans le sud ?» Le moine : « Les amis de bien y
sont très nombreux. » Huizhong : « Qu'est-ce qu'ils
enseignent aux hommes ?» Le moine : « Ces amis de
bien révèlent directement à
leurs disciples que l'esprit en tant que tel est le Bouddha. » [Selon
leurs propres paroles :] « " Bouddha
" signifie " éveil ". Vous tous ici présents êtes pourvus d'une nature qui expérimente et perçoit. Cette nature vous
permet de lever les sourcils et de cligner des yeux, d'aller et
venir et d'être actif. Elle est dans tout le corps. Lorsqu'elle touche la tête, la tête connaît ; lorsqu'elle touche les pieds, les pieds
connaissent. C'est pourquoi on la nomme connaissance correcte
et universelle (samyaksambouddha). En dehors d'elle, il n'est pas d'autre Bouddha. Ce corps peut bien naître et périr, la
nature spirituelle, quant à elle, depuis la nuit des temps, n'a jamais eu à naître
ou à périr. La naissance et la mort du corps ressemblent
au dragon qui change d'os, au serpent dont la peau mue, ou à l'homme qui
quitte son ancien logis. Autrement dit, le
corps est impermanent, mais sa nature est permanente.
» Tel est, dans les grandes lignes, ce que prêchent
les maîtres du sud. »
Huizhong
dit : « Si tel est le cas, voilà qui ne diffère en rien de l'hérésie
Senika. Selon celle-ci, « il existe dans notre corps une
nature spirituelle, qui permet de connaître la peine et la démangeaison.
Lorsque le corps est détruit, le principe vital en
sort, tout comme, lorsqu'une maison est en feu, les propriétaires
s'en échappent. La maison est impermanente, mais son propriétaire est
permanent. » Si l'on en juge ainsi, on
ne peut discerner le vrai du faux. Comment tenir cela pour correct
? Au cours de mes pérégrinations, j'ai souvent rencontré
ce type [d'individus], mais il semble que ces temps-ci ils prolifèrent.
Devant une assemblée de quatre ou cinq cents disciples,
ils regardent la Voie Lactée et déclarent : « Telle est la doctrine [de l'école] du Sud. » Brandissant le Sûtra de l'estrade,
ils en modifient le contenu, et y mêlent des propos vulgaires.
Ils oblitèrent ainsi le sens des saintes paroles du sixième
patriarche et troublent leurs puînés. Comment cela constituerait-il l'enseignement oral [du Bouddha] ? Hélas! Voilà
que notre principe semble éteint ! Si les perceptions et l'intellect
constituaient la nature-de-Bouddha l'intellect.
Mettre en œuvre les facultés perceptives et intellectuelles relève des perceptions et de l'intellect, non de la
recherche de la Loi. »
Ces
temps-ci, parmi ceux qui font office de supérieurs dans les
monastères de la Chine des Song, il n'est personne de l'envergure
du maître dynastyique [Huizhong]. Depuis l'antiquité,
nul ami de bien n'est apparu qui puisse se comparer à lui.
Cependant, les profanes pensent à tort que Linji et Deshan
sont ses égaux. Seuls les individus du genre de ces derniers sont nombreux. Il
est regrettable qu'il ne se trouve pas
de maître clairvoyant.
[La
formule] « L'esprit en tant que tel est le Bouddha », telle que
l'ont préservée les Bouddhas et les patriarches, est chose que
les hérétiques et les [adeptes des] deux Véhicules n'ont jamais
vue, même en rêve. Il s'agit d'une audition, d'une pratique
et d'une réalisation qui ne peuvent s'effectuer et s'approfondir
qu'entre Bouddhas et patriarches.
Un
ancien maître a dit : « Qu'est-ce que l'esprit clair, subtil et
pur ? Les montagnes, les rivières et la terre immense, le soleil,
la lune et les étoiles. » Comprenez
bien que l'esprit n'est autre que les montagnes, les
rivières et la terre immense, le soleil, la lune et les étoiles. Cependant,
cette expression s'avère insuffisante si on s'avance,
et excessive si on recule. L'esprit [en tant qu'il est] les
montagnes, les rivières et la terre immense n'est que les montagnes,
les rivières et la terre immense. Il n'est pas pour autant
les vagues, le vent et la fumée. L'esprit [en tant que] soleil,
lune et étoiles n'est que le soleil, la lune et les étoiles. Il n'est
pas pour autant la brume et le brouillard. L'esprit [en tant que]
naissance et mort, passé et futur, n'est que la naissance
et la mort, le passé et le futur. Il n'est pas pour autant
l'illusion et l'éveil. L'esprit [en tant que] haies et murs, tuiles
et cailloux, n'est que les haies et les murs, les tuiles et les cailloux.
Il n'est pas pour autant la boue et l'eau. L'esprit [en tant
que] les quatre éléments et les cinq agrégats n'est que les quatre
éléments et les cinq agrégats. Il n'est pas pour autant les
chevaux et les singes. L'esprit [en tant que] chaise et chasse-mouches (hossu)
n'est que la chaise et le chasse-mouches.
Il n'est pas pour autant le bambou et le bois. C'est parce
qu'il en est ainsi que « l'esprit en tant que tel est le Bouddha»
est une forrmule exempte de toute souillure et que les
Bouddhas sont exempts de souillure.
Ainsi,
l'expression « l'esprit en tant que tel est le Bouddha » renvoie
aux Bouddhas qui produisent la pensée de l'éveil, pratiquent, [atteignent] l'éveil
et entrent dans le Nirvana. Tant
qu'il n'y a pas production de la pensée de l'éveil, pratique,
obtention de l'éveil et entrée dans le Nirvana, ce n'est pas « l'esprit en tant que tel est le Bouddha. » Même si la
production de la pensée de l'éveil, la pratique et la réalisation ne durent
qu'un instant, elles constituent « l'esprit en tant que tel
est le Bouddha ». Même si elles durent d'innombrables kalpas
ou l'espace d'une pensée, même si elles ont lieu dans un poing à demi fermé, elles constituent « l'esprit en tant que tel
est le Bouddha ». Ainsi, dire que pratiquer durant de longs kalpas
pour devenir Bouddha n'est pas « l'esprit en tant que tel est le Bouddha », c'est n'avoir pas encore « l'esprit en tant que tel
est le Bouddha », ne pas l'avoir compris, ne pas l'avoir étudié.
C'est n'avoir pas rencontré le vrai maître capable de dévoiler
le sens de l'expression « l'esprit en tant que tel est le Bouddha
».
Ceux
qu'on appelle Bouddhas sont le Bouddha Sâkyamuni. Le
Bouddha Sâkyamuni n'est autre que « l'esprit en tant que tel
est le Bouddha ». Tous les Bouddhas du passé, du présent et du
futur, lorsqu'ils deviennent Bouddha, deviennent nécessairement
le Bouddha Sâkyamuni. Voilà en quoi consiste «
l'esprit en tant que tel est le Bouddha ».
traduction B. Faure